Des comètes aux noyaux planétaires : le chaînon manquant
Bien que des connexions existent entre les objets les plus primitifs du système solaire et les corps planétaires différenciés ayant un noyau métallique, il n'existait pas jusque là d'échantillon qui documente le début de la différentiation planétaire. Des chercheurs ont récemment décrit une lave produite par la fusion partielle très limitée d'un corps chimiquement similaire aux météorites les plus primitives (chondrites carbonées) et, cristallisée lors de son ascension vers la surface du corps. Cet échantillon est la preuve d'une différentiation partielle de certains corps carbonés de l'extérieur du système solaire et constitue le chaînon manquant d'un continuum entre les comètes et les météorites de fer issues de noyaux métalliques.
Depuis une dizaine d'années, le magnétisme des météorites primitives et les progrès de la caractérisation isotopique des objets planétaires ont montré un lien entre les météorites les plus primitives, les chondrites carbonées, et certains objets planétaires différentiés échantillonnés par les météorites de fer. Ces données suggèrent l'existence de corps transitionnels ayant une structure interne en couches avec un noyau métallique et un manteau silicaté recouverts d'une croûte chondritique formée de matériaux primitifs du disque protoplanétaire dans lequel se sont formées les planètes. Cependant, cette idée restait battue en brèche du fait de l'absence d'échantillon météoritique issu du tout début de la fusion partielle lors de la différentiation planétaire.
Une étude a récemment rapporté la description minéralogique, pétrologique et isotopique de UH154-11, un fragment de lave découvert en inclusion dans une chondrite carbonée du groupe des CR (groupe de Renazzo). UH154-11 est un trachybasalte riche en fer que sa composition isotopique d'oxygène rattache aux chondrites carbonées d'un autre groupe, les chondrites CV (groupe de Vigarano). Sa chimie indique une origine par fusion partielle avec un très faible degré de fusion partielle (quelques pour-cent) d'une chondrite déjà oxydée et enrichie en sodium par des circulations de fluides antérieures lors d'un épisode métamorphique. Sa texture indique quant à elle une cristallisation avec un refroidissement très rapide qui augmente au fur et à mesure de la cristallisation. Cette propriété est caractéristique des magmas qui remontent dans les conduits magmatiques et permet d'éliminer une origine par impact. UH154-11 est donc issu de la cristallisation d'un magma produit en profondeur aux alentours de 1100°C et qui percole vers la surface d'un corps carboné très primitif. Les contraintes temporelles données conjointement par les isotopes du magnésium et par une formation à partir d'un précurseur déjà métamorphisé indiquent sa formation aux alentours de 4 millions d'années après l'effondrement du nuage moléculaire parent et le début de la formation du système solaire.
Les propriétés particulières de UH154-11 indiquent donc que certains des objets les plus primitifs du système solaire ont bien été chauffés au point d'initier une différentiation planétaire en couches et que des objets transitionnels partiellement différentiés ont existé au début de l'histoire du système solaire. UH154-11 peut donc être considéré comme le chainon manquant entre les chondrites carbonées auxquelles les comètes sont apparentées et certains objets différentiés tels que quelques familles de météorites de fer issues des noyaux métalliques de planétésimaux carbonés ayant subi une différentiation planétaire complète.
Contact à l’IAS: Alice Aléon-Toppani
Actualité CNRS/INSU : https://insu.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/des-cometes-aux-noyaux-planetaires-le-chainon-manquant
Référence (article scientifique) :
J. Aléon, A. Aléon-Toppani, B. Platevoet, J.-M. Bardintzeff, K. D. McKeegan et F. Brisset (2020) Alkali magmatism on a carbonaceous chondrite planetesimal. PNAS, doi:10.1073/pnas.1919550117